Ma « Tunisienté » à moi
Qui suis-je ? Cette question je me la suis posée très jeune et pour cause j'avais grandi dans un environnement culturel « panaché ». Mon père et ma mère sont originaires de deux villes côtières séparées par quelque chose comme 120 KM et quelques années lumières de différences sociales et civilisationnelles ; au point où le langage ne suffit parfois pas à s'entendre et où l'on perd son latin pour de bon à osciller entre deux dialectes tunisiens bien différents :)
Ces 120 KM de préjugés, de disparités, de visions différentes par rapport à tout ce qui peut bâtir un humain : les priorités de la vie, la situation financière, la religiosité ; tout ceci a participé à bâtir mon personnage encore à quelques centaines de KM de là, à Tunis : un autre environnement complètement à part avec ses propres contraintes de « micropole » méditerranéenne.
Tunisienté éparse ?
Quand j'entamai le « teenage », l'image que j'avais du tunisien que j'étais était parfaitement sculptée par les effets conjugués de la RAI UNO, la première chaine TV italienne d'un côté et Antenne 2 (devenu France2) de l'autre. Mon père qui avait un tel franc-parler (surtout avec les gens qu'il appréciait) me l'avait pourtant dit : ils nous montrent leur télé, pour qu'on achète chez eux et pour que peu à peu nous devenions comme eux ... Faisant la sourde oreille à ses avertissements « grisonnants » j'en usais de cette « pétillance maghérbine » (Ave My Gad) et j'en abusait à souhait sur les plages de la côte. Ma famille à l'époque n'était pas financièrement des plus aisées, nous vivions dans ce qu'on appelle « un quartier pop » et pourtant j'avais accès à ce que la jeunesse demandait, certes « faisant avec les moyens du bord », mais au passage j'ignorais que beaucoup de tunisiens de mon âge ignorait la vue de la mer.
Tunisienté imposée d'ailleurs ?
Pour être franc et au risque de me redire, mon bilan de ma tunisienté était tellement pauvre à l'âge de 18 ans, que je ne rêvais que d'une chose, quitter le pays ! (N'est-ce pas là notre sport national par excellence ?) Pourtant nous commencions à vivre mieux, mon père avait fini de bâtir notre nid familial (je crois qu'il a du y mettre beaucoup plus que toutes ses économies) et sa carrière professionnelle s'annonçait des plus prometteuses ... Cependant il me manquait l'essentiel pour rester et combattre l'envie de partir loin : une raison valable ! Nom de dieu, je ne peux pas vous expliquer combien c'est humiliant pour un ado de se faire demander sur un ton autoritaire par un flic de merde de revenir un kilomètre sur ses pas pour aller lui chercher un sandwitch. Surtout quand l'ado en question était justement entrain de rentrer chez lui à pieds depuis son petit boulot d'été sous les 40 degrés à l'ombre de Juillet ... Ce jour là je crois que j'ai du cracher de toutes mes forces sur cette tunisienté volée, bafouée devenue méprisable ... et dans mon esprit, l'idée d'un autre horizon a commencé sa nidification. Je souligne qu'à l'époque, de part mon âge et le contrôle médiatique j'ignorais que des centaines de tunisiens étaient prêts à rester et à se battre contre cette atteinte à notre tunisienté à tous.
Tunisienté mais où es-tu ?
Quand j'ai eu enfin la chance d'aller en Europe, je me suis découvert dés le premier jour un tout autre langage ! Je suis devenu un petit fanfaron du modèle tunisien de la tolérance, du savoir-vivre et de cette sagesse historique millénaire que l'on voit diffuse dans les yeux de ces enfants ...
Oubliant vite fait cette petite altercation entre un flic véreux et mon petit ego de teenager qui fut « symboliquement » à mes yeux à l'origine de mon départ. Je suis sûr que les explications psychologiques doivent pulluler pour commenter ce revirement spectaculaire mais j'en tire une seule et unique conclusion : je l'aimais cette Tunisie que j'ai du pourtant fuir et je l'aimais tellement que je me mentais à moi-même en voulant la faire apparaître sous sa plus belle robe. Parfois nous faisons ceci pour nous protéger : on montre notre plus beau visage même si les conditions ne sont « pas terribles » ... Pourtant durant cette même période je ne cessais de relever par-ci, par-là des petits détails inquiétants et soufflant la flamme de mon souvenir d'une dignité bafouée. Internet aidant j'ouvrais les yeux sur l'ampleur de l'incendie qui brûlait mon pays de l'intérieur et je me posais de moins en moins de questions sur l'origine de cette fumée qui nous asphyxiait tous ...
Tunisienté en gestation ?
De retour en Tunisie, j'ai fini par trouver un boulot pépère dans l'administration tunisienne après un bref passage dans le secteur privé. (Le groupe BATAM venait d'être déglingué par les Trappa (c))
Et à défaut de continuer de nettoyer des « jpeg » pour le site web de la SMAK, je me suis retrouvé dans la plus grande institution tunisienne à caractère social à apprendre un vrai métier sous une bonne hiérarchie au départ (excellente même à certains niveaux).
J'entamai mon projet de vie et du coup je commençai à vouloir vivre mieux dans ce pays que j'ai décidé après tout de retrouver. Un théorie intéressante circulait parmi les nombreuses nouvelles recrues dont j'étais le collègue : changer le système depuis l'intérieur pour qu'il représente mieux nos jeunes ambitions. Je nous voyais chacun essayant à sa manière, certains se mettant tout de suite dans la gueule du directeur (RCD) pour leur franc-parler et d'autres qui utilisent leur connexion toujours avec le RCD pour humilier par le geste et la parole leur propre chef. Cette tunisienté je la voyais se tortillant dans un combat fratricide entre la volonté de servir le pays et l'envie de se servir d'abord ... Tunisienté malade ?
Depuis les événements de Redeyef en 2008, ma vision de ma tunisienté comme une dignité bafouée commençait à se préciser autour de concepts plus pragmatiques : absence de justice sociale, opacité et déification des appareils de l'état et pour finir une mission sécuritaire orientée contre le citoyen et non à son service ... De part mes rencontres j'ai compris que toutes les régions tunisiennes bénéficiaient du développement ... « certaines plus que d'autres » et que mon silence certes dépité, ne valait pas mieux que l'action de ceux qui en étaient directement responsables. Tunisienté amère de se sentir coupable et encore plus amère de se sentir cantonnée dans sa propre impuissance. Tunisienté qui parle sans tabous uniquement dans les salons privés ou dans un langage soigné dans les blogs ou forums sur ma cyber-toile et qui pourtant reste convaincue de sa propre déperdition. Vint enfin l'acte libérateur de ce BouAzizi (Al Fatiha), cet acte dont il a du souffrir jusqu'à ce que mort s'en suive et que beaucoup ont sur-enchéri en donnant leur vies (Al fatiha pour nos martyrs) au service d'un rêve : pour que nous (tunisiens restés vivants) puissions savourer un instant le départ de ZABA. Cette tunisienté je l'ai senti se réveiller en moi, en ressentant ma peau crépiter sous la flamme comme celle de BouAzizi, en ressentant chaque balle tueuse tirée par un sniper sur un manifestant pacifique comme me traversant le coeur ou pire encore comme tuant ma propre chair : mon frère, mon fils, mon père ...
Aujourd'hui j'en suis réduit à ce vide nous entourant ma tunisienté nouvellement découverte en moi et cette horde de vautours voulant à tout prix tuer ce projet dans l'oeuf. Pourtant mon optimisme est clair et même si la vigilance est toujours de mise je sais que cette tunisienté nouvelle bâtie sur une fraternité sans équivoques a de longues et heureuses générations devant elle. Le sang des martyrs ne sera pas vain tant qu'il coulera toujours dans les veines de 11 millions de tunisiens, car rien n'arrêtera un peuple que la galère aura réuni %